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Un travail de Roumains

Jean-Pierre Cuq & Nicolas Rigaud

Illustration de Charlotte Lambert
Illustration de Charlotte Lambert

Le Syndicat mixte pour l’aménagement de la Découverte (ou SMAD, composé de la région Midi-Pyrénées, du département du Tarn et du syndicat intercommunal de la Découverte), a trouvé la parade pour redonner quelques couleurs au projet de reconversion du site, après l’échec du parc d’attraction Cap Découverte : une centrale photovoltaïque de 55 hectares, d’une puissance de 28 mégawatts1. Les terrasses qui dominent ce trou béant semblaient en effet impropres à toute autre forme d’activité. Proposé en 2008, suivi d’un appel d’offres en 2009 et de six ans d’atermoiements administratifs, ce projet est en cours de réalisation depuis cet automne, et devrait être terminé à la fin du premier semestre 2016.

L’appel d’offres lancé par le SMAD a été remporté en 2009 par Juwi, société rachetée par Neoen en 2015. C’est donc Neoen qui sera chargée de l’exploitation de la centrale, contre un loyer annuel de 125 000 €. Les panneaux solaires sont répartis sur quatre sites surplombant l’ancienne mine. Un sacré boulot : terrassement, installation des pieux qui serviront de support aux panneaux. De quoi se réjouir de pouvoir enfin réaliser l’agenda écolo-devéloppement-durable-et-création-d’emplois. Le bassin carmausin respire : « C’est du concret ! » déclara même Catherine Pinol, conseillère régionale socialiste. Effectivement, des entreprises locales ont œuvré pour le terrassement. Mais l’installation même est réalisée en partie par une trentaine de travailleurs roumains et quelques Espagnols. Car l’entreprise Neoen a confié la pose des panneaux à Bouygues Énergies, qui l’a sous-traitée à la société marseillaise Sénergies, elle-même rachetée par Global EcoPower fin 2015 ; et c’est cette dernière qui embauche les ouvriers roumains.

Saxifrage s’est rendu sur le site de la Découverte et a rencontré l’un d’entre eux, Carol, qui y travaille depuis le mois de novembre. En Roumanie, Carol était payé 250 € par mois. Avec la crise de 2008, il a vu son salaire baisser de 25 %. Difficile, avec celui de sa femme, d’assurer le quotidien. Il rejoint son frère, installé en France depuis dix ans pour des petits boulots, souvent au noir, ponctués de retours en Roumanie. L’année dernière, l’entreprise Sénergies lui offre la possibilité de travailler légalement. Comme ses collègues, Carol est payé au SMIC. Le logement est assuré par l’entreprise Sénergies à l’auberge de Cap Découverte, sans retenue sur salaire, et l’aller-retour en avion pour le retour au pays est également pris en charge.

Mais quel est l’intérêt, pour cette entreprise, d’embaucher des Roumains dans le cadre du droit du travail français ? La réponse se trouve dans la rémunération des heures supplémentaires : elles ne seraient ni comptées ni payées : « Nous, on demande moins, et on fait beaucoup. On travaille vite, s’il y a besoin d’heures supplémentaires, on les fait », nous raconte Carol. Nulle trace sur la fiche de paye. Carol le sait, mais le salaire tous frais payés vaut bien quelques heures supplémentaires non payées, malgré les conditions de travail parfois difficiles en hiver.

Interrogé par Saxifrage, Bernard Bacabe, maire de Briatexte, conseiller départemental et nouveau président du SMAD, se dit conscient du problème posé par la présence de travailleurs étrangers : « On avait signé un contrat, le droit d’utilisation du sol. On en a parlé entre élus. Les appels d’offres, il faudrait qu’on les borde sur un volet social. Aujourd’hui, on a mis à disposition des terrains, mais le volet social n’a pas été intégré. » Mais pour lui, ce projet « mettra du beurre dans les épinards ». Tout juste de quoi payer le beurre, en fait, sachant qu’en 2013 le déficit de fonctionnement du site était de 4,6 millions d’euros par an.

Les élus favorisent involontairement, par leur négligence, le dumping social, le profit indu et la mise en concurrence des peuples qui ne demandent qu’à travailler chez eux. Ce qui est dommage dans cette histoire, c’est qu’on cherche toujours ailleurs ce qu’on est capable de faire localement. A-t-on vraiment besoin d’une multinationale pour créer et exploiter une centrale photovoltaïque ? Le Carmausin possède toutes les compétences : une école des Mines, un syndicat autonome de distribution d’électricité (SERC), et des travailleurs capables de mettre tout cela en œuvre.

Carol, lui, n’a qu’une idée en tête, retourner en Roumanie, vivre avec sa famille : « C’est très difficile de venir travailler ici. Je veux arrêter. J’ai commencé à mettre de côté pour faire quelque chose pour moi, pour monter une petite entreprise. » Au risque de devoir faire face, à son tour, à la concurrence d’une main-d’œuvre importée à bas coût, encore plus bradée que la sienne.

Jean-Pierre Cuq & Nicolas Rigaud

1. La centrale thermique Pélissier, à Albi, aujourd’hui détruite, avait une puissance de 25 MW.

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