Éditorial
À en croire les Pages blanches, il y a, parmi les patronymes recensés dans le Tarn, plus de Garcia que de Puech, plus de Goncalves que de Carcenac. Certains voudraient voir ce département replié sur lui-même, et se réjouissent sans doute que progressivement l’Europe ferme ses frontières aux réfugiés fuyant les guerres et la mort – cette même Europe qui aimerait en sous-traiter la gestion au sinistre président de la Turquie, lequel monnaye sa collaboration pour mieux faire accepter le virage totalitaire qu’il impose à son pays. D’autres s’organisent pour accueillir chaleureusement des réfugiés à Saint-Antonin-Noble-Val, ou se retrouvent à Toulouse pour une soirée de soutien à la révolution syrienne.
Dans le n° 3, nous relations comment des Tchétchènes avaient été cachés de nombreux mois dans le Tarn pour leur permettre d’acquérir le droit au séjour. Ce qui constitue aussi le Tarn, ce sont ces travailleurs polonais, italiens, espagnols venus bosser dans les mines de Carmaux, dans les usines de Graulhet ou comme charbonniers en forêt de Grésigne. Le Tarn, c’est encore les républicains espagnols fuyant le franquisme. Les harkis rapatriés en urgence d’Algérie en 1962. Des Maghrébins, des Portugais, et tant d’autres, invités à faire tourner les usines. Des Latino-Américains ou des Kurdes fuyant les dictatures.
Aujourd’hui, certains sont de nationalité française. Mais d’aucuns leur demandent d’avoir une identité, une seule, une identité… nationale. La France, ce n’est pas ça. La France, terre d’immigration, est une mosaïque d’identités variées, et c’est ce qui fait sa richesse. Chaque individu a dans son histoire familiale des « étrangers ». Il peut l’occulter, et être plus français que les Français en rejetant les immigrés plus récents. Il peut aussi ne pas oublier qu’il est fait de multiples identités. Ça le rendra plus humain, plus modeste, plus fort, plus sensible.
Certains voudraient que le Tarn soit comme ces grandes cultures de maïs qui uniformisent ses plaines. Quant à nous, non seulement nous nous réjouissons de la biodiversité culturelle que nous amènent ces femmes et hommes qui ont dû quitter leur pays, mais nous n’oublions pas non plus que la Constitution de 1793 stipulait en son article 120 que le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté, et le refuse aux tyrans.