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Des pompes sur mesure

Rencontre avec Marietta Kenkel

Claire Kachkouch-Soussi & Aurore Lerat

Dessin de

C’est sous une température enfin respirable que Marietta Kenkel nous reçoit en cette matinée de juillet, à la terrasse du Café de la Halle de Saint-Antonin- Noble-Val. Nous sommes venues l’interroger sur La Perle, entreprise originale de pompes funèbres qu’elle a créée et tenue pendant trois ans aux Cabannes, avant de s’en séparer début 2013. « j’ai eu du mal à arrêter mais je perdais trop d’argent, j’avais surestimé le taux de mortalité dans la région », nous explique-t-elle, amusée. Marietta ne nous cache pas que ses origines étrangères – elle est néerlandaise – et la singularité de son entreprise n’ont peut-être pas joué en sa faveur.

« À 20 ans, dans les années quatre-vingt aux Pays-Bas, j’ai vécu de près le décès du père d’un ami. J’ai été horrifiée par la manière dont ça s’est déroulé. Cette routine dans les actes funéraires et la facture énorme reçue sans explications par la famille. J’ai vraiment eu l’impression que l’entreprise de pompes funèbres avait profité du désespoir de la veuve. » C’est ainsi que Marietta commence à s’intéresser à d’autres manières d’appréhender le rite funéraire. Ou comment se réapproprier le décès de ses proches.

« Ma conviction, c’est que les gens suivent des traditions sans les remettre en question, car on ne leur donne pas le temps de réfléchir à ce qu’ils veulent ; les familles ne savent pas qu’il existe d’autres possibilités. » C’est donc pour pallier ces lacunes que Marietta Kenkel se lance, après vingt ans d’enseignement, dans la création d’une entreprise de pompes funèbres. Celle-ci propose à la fois une gamme d’articles originaux (matériaux bio, travaux d’artisans, etc.), mais surtout un réel accompagnement des familles entre le jour du décès et le jour des obsèques et une cérémonie singulière à l’image du défunt.

Par exemple, pour la toilette du défunt, on demande habituellement à la famille de sortir. « Moi je leur proposais de participer à l’habillage. C’est une façon de se rendre vraiment compte du décès ; on laisse pénétrer la réalité. De même pour porter le cercueil, avant c’était les voisins. Ou encore la fermeture du cercueil, aujourd’hui on ne demande plus aux familles, on les prend en charge. Oui, c’est un moment très dur mais la mort est douloureuse et participer à ces actes symboliques qui peuvent représenter beaucoup, ça aide pour faire son deuil. »

Pour Marietta, il est important de prendre le temps de vivre toutes ces étapes et aussi d’aider les familles à la préparation de la cérémonie funéraire. Il est encore trop courant d’assister à des obsèques standardisées voire expéditives pendant lesquelles on ne ressent pas un véritable hommage à la personne décédée.

« Le plus important ce n’était pas ma personne mais mon rôle. Pour moi il s’agissait d’être caméléon et de m’adapter aux singularités des familles. » Ainsi Marietta demandait des détails sur la personne décédée, prenait le temps de s’imprégner de la famille et cherchait à ressentir ses besoins, en observant une certaine distance. « Je stimulais les proches pour qu’ils écrivent, trouvent des textes, choisissent la musique. Quand des gens me disaient qu’ils ne se sentaient pas à l’aise avec la parole, nous cherchions une autre manière, un geste pour exprimer des choses, des émotions ; comme mettre une fleur sur le cercueil. Sans paroles, on peut dire beaucoup. »

Comment, dans ces moments, gérer sa propre tristesse face à la souffrance des familles ? « Durant ma formation aux Pays-Bas nous avions des cours techniques sur les changements physiologiques une fois le corps mort, sur la législation et les religions mais aussi sur la psychologie du deuil ; comment accompagner les proches. Il faut pouvoir distinguer la douleur de la famille de sa propre douleur. En tant qu’accompagnante des familles ou maître de cérémonies, on se doit de rester bien ancrée, solide, une sorte de repère, garante d’un cadre. Cela permet à la tristesse de s’exprimer mais aussi rappelle que la vie continue. Faire une tête d’enterrement, ça ne m’a jamais semblé approprié. Après, je ne cache pas que parfois, j’ai été profondément émue, mais j’ai appris à le mettre de côté, car l’exprimer n’aidait pas les familles. »

Ainsi Marietta, qui a soutenu et accompagné quarante familles en trois ans, cherchait à personnaliser chaque enterrement. « J’avais tout de même des repères pour élaborer les cérémonies. J’insistais sur le fait que si l’on a du mal à perdre quelqu’un c’est que le lien était très fort. À la fin, je cherchais toujours à réconforter, à donner espoir. La mort d’un proche nous invite au renouveau, à réapprendre à vivre selon d’autres modalités. Même dans les cas de suicide où il y a beaucoup de colère et de désespoir, je cherchais quelque chose de positif à transmettre et d’expliquer que nous étions là pour nous soutenir mutuellement. C’est pour cela que la musique est pour moi très importante. Comme dans les messes religieuses, les chants ou les temps de silence sont des moments de réflexion, de méditation, ensemble, pour ressentir, se remémorer, commencer à accepter. »

Pourtant Marietta Kenkel ne s’inscrit dans aucune religion particulière mais se dit volontiers humaniste. « Je crois au lien entre les Hommes. La mort c’est la vie. Avant ça faisait partie de notre quotidien, on vivait avec les grands-parents, on voyait les animaux mourir. Dans d’autres cultures comme en Inde ou au Tibet, les gens ont une attitude beaucoup plus proche, peut-être plus naturelle que chez nous avec la mort. Ici, on cache, on cherche à croire qu’on ne meurt pas, on vit dans une sorte de déni. »

Loin de ces établissements funéraires standardisés aux vitrines garnies de pierres tombales surannées, La Perle fut une initiative ambitieuse. Car remettre du sacré et des rituels au cœur de nos vies – où le virtuel a pris le relais – et permettre aux familles de se réapproprier les actes funéraires, autant de principes qui sonnent comme des actes politiques de plus à repenser pour nos sociétés occidentales.

Claire Kachkouch-Soussi & Aurore Lerat

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