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Le parc, le maire et le citoyen tagueur

Un citoyen tagueur

Photo de Un citoyen tagueur
Photo de Un citoyen tagueur

Le parc Foucaud

Le parc Foucaud de Gaillac, c’est plusieurs hectares de jardin arboré, au bord du Tarn, avec un joli petit château dessus. Ce n’est certes pas la forêt primaire, mais tout de même un petit miracle de nature domestiquée ayant échappé à la spéculation, au mitage et à l’artificialisation.

C’est en 1903 que la municipalité de l’époque achète ce parc à prix d’or à son propriétaire, la famille Puységur, pour l’offrir à ses administrés deux ans avant la loi de séparation de l’Église et de l’État, à la Belle Époque, quand la République avait l’ambition d’accroître le domaine public au détriment du privé. Cadeau pour tout le monde, qu’on soit jeune ou vieux, riche ou pauvre, sportif ou artiste.

À propos d’art, en 1935 le château de Foucaud devient musée de la ville. Sauf pendant la seconde guerre où les Allemands en firent un hôpital militaire. Les circonstances excusent la reconversion toute temporaire des lieux.

Pour le reste du xxe siècle, tout cela reste public, jusqu’à ce que Patrice Gausserand, maire de Gaillac depuis 2014, en décide autrement.

Le maire

À peine élu, Patrice Gausserand crée une société commerciale, nommée Comptoir des Bastides, avec son ami Pierre-Yves Olivier et la compagne de ce dernier, riche héritière chinoise, madame Jing Olivier. Ainsi fait-il du commerce de vin avec la Chine, depuis 2015, un peu en douce, au point que pas mal de ses conseillers municipaux l’ignoraient. L’ami Olivier se lance parallèlement dans l’achat d’immeubles dans le quartier de la Portanelle à Gaillac, en vue d’en faire des logements, transactions dans lesquelles le rôle du maire n’est pas net.

Au cours d’un de ses voyages d’affaires en Chine, notre maire a l’idée de faire venir le musée de Pékin à Gaillac, et aussi d’organiser un Festival des lanternes en partenariat avec la ville de Zigong (moins de 3 millions d’habitants). Coût de l’opération : plus de 800 000 € pour la France, autant pour la Chine.

En octobre, quarante-quatre travailleurs chinois entreprennent d’orientaliser de fond en comble le parc Foucaud, un chien de garde surveille les lieux de nuit, un amoncellement d’objets emballés à la Christo encombre toutes les pelouses du parc, tandis qu’une marée d’affiches, de flyers et d’encarts envahit tous les espaces publicitaires.

Et c’est ainsi que le parc et son château sont devenus une cité interdite durant deux mois, décembre et janvier, pour une féerie chinoise avec dragons et pandas, six mois si l’on compte installation et remise en état des lieux. Ainsi le maire a-t-il confisqué un lieu public pour en faire un espace commercial privé, et l’opération est tacitement reconductible sur cinq ans.

Le citoyen tagueur

Hormis des articles d’investigation de La Dépêche du Midi, performante en l’occurrence1, hormis une plainte au pénal de l’élu de la France Insoumise contre le maire pour suspicion de conflit d’intérêts, rien ni personne ne se met en travers de Patrice Gausserand.

S’agissant des habitants, qu’ils soient satisfaits et par conséquent complices, indécis et dans l’attente, ou bien encore carrément mécontents, leur opinion se résume à un silence assourdissant. Il y aurait pourtant de multiples raisons de protester, tant contre le passage en force d’un maire qui use de sa ville comme d’une entreprise personnelle que contre un modèle de société dont l’événement est emblématique. L’entreprise mondialisée y est promue au poste de commandement, coïncidant avec la promotion d’un Macron comme président, la culture y est rabaissée au rang de facilitateur commercial, et l’espace public commun livré à la marchandisation.

C’est dans ce contexte d’apathie citoyenne que notre tagueur s’empare de bombes (aérosol), une rouge et une noire, jette ses encres sur le mur gaillacois qui depuis des lustres sert d’exutoire à tout habitant en colère, écrivant en noir « Gausserand est un sale…et un gros... », et en rouge des mots en mandarin, pas forcément aimables.

Le tag n’aura duré que l’espace d’une nuit. Le lendemain, un dimanche, les agents municipaux seront sur le pont pour effacer les traces de cette expression citoyenne. Quant au tagueur, s’il a pu bénéficier du repos dominical offert aux gendarmes, il subit dès le lundi matin les conséquences de son geste : perquisition de son domicile, saisie de son ordinateur, audition, relevé d’empreintes, et tutti quanti. C’est qu’il avait négligé un détail : les caméras de vidéosurveillance dont la ville est désormais équipée. Nous ne sommes plus au temps de la Révolution culturelle ni des dazibaos (journaux muraux).

Si procès il doit y avoir, pour autant que Gausserand veuille remettre un coup de projecteur judiciaire sur les lanternes, alors qu’il est lui-même épinglé au pénal, ce sera une première dans le droit français qu’un procès pour insulte publique écrite en mandarin et, de ce fait, incompréhensible du public.

Mais quoi qu’il en soit de l’avis des juges, tout citoyen est d’ores et déjà invité à se demander ce qui est le plus choquant, entre les multiples dégradations occasionnées par une telle fête et l’inscription d’un tag visant à les prévenir.

Un citoyen tagueur

1. Aux articles de la Dépêche dénonçant les manœuvres du maire, il faut ajouter le reportage de France 3 Occitanie « Petits partenariats entre amis au Festival des lanternes de Gaillac ». Il faut encore préciser que La Dépêche du Midi a rapidement repris ses habitudes serviles pour faire la promotion dudit festival : les tentatives d’esprit critique du quotidien, par ailleurs prestataire et partenaire de la manifestation, commençaient sans doute à faire désordre...

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