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À Carmaux, les grands remèdes ?

Boris Vézinet

Dessin de Druilhe
Dessin de Druilhe

Le bassin carmausin se transforme durablement en un désert médical. La fermeture des urgences de jour vient un peu plus assécher l’offre de santé sur le territoire. Depuis le mois de septembre la population tente de s’organiser malgré les vents contraires.

Deux cents personnes sont réunies, ce lundi 12 février dans la salle Bérégovoy à Carmaux. Cette présence nombreuse peine à réchauffer cette salle aux murs jaunes délavés et aux néons désespérément clignotants. Dans l’assemblée, de nombreux retraités, sans doute plus sensibles à la désertification médicale que la jeunesse carmausine. Tout le monde attend l’intervention des membres du conseil sanitaire territorial de santé du Carmausin-Ségala, un collectif créé contre la pénurie de médecins et la fermeture programmée des urgences de la polyclinique Sainte-Barbe. Alain Rousseau et Élizabeth Nicolas dressent le bilan. Les urgences fermeront le 28

Un service d’avant-garde

La polyclinique Sainte-Barbe est la propriété de Filiéris, filiale de la caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM). Son offre de soin, héritée du régime minier (voir encadré), est principalement orientée vers la gériatrie et la médecine générale (centre de santé, pharmacie). Elle disposait également d’un service d’accueil de proximité et de soins non programmés (SAP). Ce service, qualifié d’urgence de médecine générale et disposant d’un plateau technique adéquat (radiologie), était assuré par une infirmière et un médecin, en journée, du lundi au samedi matin. Fractures, points de suture, bronchites inquiétantes, entorses, pose de plâtres, hypocondrie aiguë... Les bobos pouvaient être pris en charge sans que le patient ne soit obligé de se déplacer aux urgences déjà saturées de l’hôpital d’Albi. En somme, un service de santé pas si idiot qui avait pour but de relocaliser les soins abandonnés depuis longtemps par les médecins libéraux lors de leur consultation. C’est ce service que Filiéris a fermé.

Les motivations avancées  ? Le pognon. L’éternel argument pour faire rentrer dans le crâne de la population que la situation n’est plus tenable, qu’il faut réformer-pour-atteindre-la-rentabilité. Filiéris prétendait, à raison, que le SAP perdait de l’argent. 120 000 € par an. Pour rassurer et jouer la montre, Filiéris avait annoncé, en septembre 2017, par l’intermédiaire de son directeur régional Philippe Rognié, que le SAP fusionnerait avec l’autre centre de santé, dont il assure aussi la gestion. Une seule ombre à ce merveilleux tableau : le plateau technique resterait en rade transformant profondément l’offre de soin sur le territoire. Les médecins du centre de santé n’étaient par ailleurs pas très chauds à l’idée de ce transfert, préférant sans doute les consultations traditionnelles à un service d’urgence. À la fin février le message devenait enfin plus lisible. Philippe Rognié annonçait la fermeture définitive du SAP sans transfert vers le centre de santé. Et dans un cynisme déconcertant déclarait : « je comprends les Carmausins qui s’étaient habitués à ce confort » (La Dépêche du midi, 24 février 2018).

Filiéris, l’ARS et... le PS

Mercredi 28 février, dernier jour d’ouverture des urgences. Le combat ne semble pas perdu pour les 300 personnes frigorifiées rassemblées dans le parc jouxtant la polyclinique. La CGT a ressorti les banderoles à l’effigie des mineurs et de Jaurès. « La fermeture du SAP est un pas de plus dans le démantèlement du régime minier », me glissera un syndicaliste. Des élus du territoire, peu nombreux, le représentant des commerçants et les membres du conseil sanitaire défilent sur les marches du kiosque et réaffirment leur mobilisation qui dure depuis le mois de septembre. À la tribune, Alain Rousseau parle même de zone à défendre. Mais rassurons-nous, ce jour-là, le ton est calme et courtois. Une seule bagnole de flic assume une surveillance discrète dans la rue surplombant le parc.

Depuis sept mois, le conseil sanitaire tient bon. Il organise des manifestations, des occupations et des réunions publiques où l’assemblée décide des actions à mener. Fort de 7000 soutiens, il a fait tomber tous les arguments avancés par Filiéris et l’ARS pour justifier la fermeture du SAP : problème financier, absence d’autorisation, impossibilité de trouver des médecins, problème de locaux.  «Mais c’est dur, c’est une guerre de tranchée, quand on abat un mur, un autre se met en place », raconte Alain Rousseau. Des murs soigneusement construits par Filiéris et l’agence régionale de Santé (ARS) qui se renvoient la balle et font tourner en bourrique la population. Cette situation met en avant les liens étroits entre l’ARS et les structures de santé comme celle de Filiéris. « C’est le jeu des chaises musicales », glisse Alain pour qui les membres de la direction de Filiéris, de la CANSSM et de l’ARS sont interchangeables. Ainsi, Jean-Marie Garcia, directeur délégué Occitanie/Nouvelle Aquitaine de Filiéris, était en 2011 sous-directeur de l’ARS Midi-Pyrénées. Laurent Habert, directeur général de la CANSSM jusqu’en 2017, était directeur général de l’ARS d’Alsace en 2010. Il a désormais rejoint le cabinet de la ministre de la Santé. Cette collusion, témoigne d’une politique commune et d’une stratégie nationale de réduction des frais de santé. « Tout ce qui ne rapporte pas, on le casse », résume Alain « je les soupçonne de vouloir transformer les locaux du SAP en hôpital de jour, un lit à 700 € jour est beaucoup plus rentable ».

Certains élus locaux, comme le maire de Carmaux (PS) ou de Saint-Benoît (PC), ont rejoint la bataille pour le maintien du SAP aux côtés du conseil sanitaire. Mais c’est bien trop peu pour Alain qualifiant de « mange merde » les élus qui restent à la maison. Or une coopération entre les collectivités, l’ARS et Filieris aurait peut-être pu sauver le service d’urgence. La Communauté de Communes (3CS) reste silencieuse et ne prend pas part à la défense du SAP. C’est même le préfet qui a imposé à Didier Somen, le président de la 3CS, d’intégrer le conseil sanitaire aux réunions du comité de pilotage de l’organisation des soins de premier recours. Thierry Carcenac et Christophe Ramond, respectivement sénateur et président du Conseil Départemental, appuient du bout des lèvres les opposants à la fermeture. Guy Malaterre, conseiller départemental reste étonnamment silencieux protégeant sans doute l’EHPAD que Filiéris a créé à Pampelonne, commune dont il est le maire. Élément curieux, tous ces élus aphones ou enroués mais concernés par cette fermeture sont pour la plupart issus du même mouvement politique: le parti socialiste. La division des élus PS au sein des sections locales a peut-être pesé lourd dans la fermeture du SAP.

Désert médical

« La CANSSM a pour ambition de contribuer au maintien d’une offre de proximité notamment dans les territoires à faible densité médicale. Modernisation de locaux, regroupements de consultations, voire création de nouveaux centres de santé : le réseau Filiéris est en constante adaptation afin de proposer aux patients un service de qualité dans des locaux agréables et modernes ». Tel était le discours de Laurent Habert dans le rapport annuel de la CANSSM en 2016. Pour le Carmausin, la fermeture du SAP montre le contraire. La décision de Filiéris amplifie la difficulté des populations à trouver un toubib. D’autant plus que Filiéris est en position dominante. Il emploie aujourd’hui 10 médecins de médecine générale (sept sur Carmaux, trois à Cagnac-les-Mines) sur les 26 qui exercent sur le territoire. Dans les prochains mois, le nombre total de généralistes risque de passer à seulement 16 pour une population de 30 000 habitants dont le tiers a plus de 60 ans. Les villages de Mirandol, Valderiès, Monestiés vont probablement perdre leurs médecins, suite aux départs en retraite et à leur non remplacement.

Face à cette situation, le conseil sanitaire est créé, le 27 avril 2017, lors d’une réunion publique qui rassembla plus de 75 personnes. À ce moment-là, deux médecins fermaient boutique laissant 1 800 patients sur le carreau. Pour Alain, la pilule est difficile à avaler : « c’est dégueulasse de mépriser de cette façon les populations. J’en ai vu quatre encore ce matin qui se baladaient avec leur bonbonne à oxygène. Les gens sont en plein désarroi ».

Les zones rurales, les anciens bassins industriels sont aujourd’hui touchés par les pénuries de médecins et de spécialistes. Seules les maisons de retraites et les EHPAD tirent leur épingle du jeu et siphonnent les retraites de ceux qui ne peuvent plus rester chez eux. Mais la mort progressive des services de santé généraliste s’accompagnera sans doute d’une nouvelle offre de soins : la télé-médecine. N’ayant plus besoin de se déplacer ou de travailler chez les ploucs et les chômeurs, le médecin pourra désormais diagnostiquer, à distance et en visioconférence, le patient accompagné d’une infirmière1. Ou comment traiter la silicose par webcam ou annoncer un cancer par l’intermédiaire d’un écran plat.

À Carmaux, Filiéris se targue d’avoir créé un poste à 60 % équivalent temps plein au centre de santé suite à la fermeture du SAP. La député LREM, Marie-Christine Verdier-Jouclas, s’autocongratule : « Dans cette affaire, je suis restée confiante quant aux écrits en ma possession faits par Filiéris et validés par l’ARS sur les engagements pris pour le transfert de l’activité des soins non programmés vers le centre de soin actuel » (Le Tarn Libre, 9 mars 2018). L’afflux de patients vers le centre de santé au début du mois de mars était bien réel. Depuis, et l’on pouvait s’y attendre, les urgences sont renvoyées à Albi.

À l’heure actuelle, la bataille continue. Le conseil sanitaire aura malgré tout réussi à mettre une belle épine dans le pieds de Filiéris et de l’ARS. Car même s’il perd ce combat, il en aura gagné un autre. Celui d’une solidarité retrouvée.

Boris Vézinet

1. Les négociations entre l’Assurance-maladie et les médecins sur la tarifications des actes ont débuté en janvier 2018. (Le Monde, 18 janvier 2018).

Le régime des mines, géré par la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM), est un statut spécial créé en 1946 assurant la protection sociale des mineurs et de leur famille (santé, assurance vieillesse, ...). Il est l’héritier des caisses de secours et de retraite des ouvriers mineurs. La CANSSM est un organisme privé, avec mission de service public. Elle fait tourner également les établissements de santé (hôpitaux, pharmacies...) implantés dans tous les bassins miniers. Avec la fermeture des mines et la baisse du nombre de cotisants (2 410 pour plus de 285 000 bénéficiaires et une moyenne d’âge de 82 ans en 2015), la gestion financière de la protection des mineurs a été transférée à d’autres caisses (caisse des dépôt pour les retraites par exemple). La CANSSM s’est donc transformée en gestionnaire de ce qui lui restait : les centres de santé. En 2005, les établissements sont ouverts à toute la population. En 2009, la marque Filiéris est créée. Depuis elle gère plus de 140 centre de santé et garantit aux bénéficiaires du régime minier leurs acquis sociaux, notamment une santé entièrement

Aujourd’hui, Filiéris restructure, fusionne, ferme des centres de santé avec comme objectif d’assurer une bonne gestion financière. Parallèlement, le régime minier est en sursis. Les nouveaux mineurs ne sont plus affiliés à ce régime qui semble coûter trop cher. Une nouvelle convention avec l’État doit être discutée courant 2018. Et vue la situation actuelle, elle n’augure rien de bon. Débarrassés de ce régime, Filiéris et la CANSSM deviendraient de fait de puissants acteurs de santé privés dans les anciens bassins miniers.

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