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Féeries de chiffres

Florian Jourdain

Dessin de Vince
Dessin de Vince

Le Festival des Lanternes qui s’est tenu à Gaillac pendant les mois de décembre et janvier derniers1 a été un énorme succès commercial, consacrant ainsi les méthodes d’entrepreneur de Patrice Gausserand, maire de la petite agglomération tarnaise.

On pourrait disserter longuement sur le bilan de cette première édition gaillacoise des Lanternes chinoises, se faire le panégyriste de son instigateur, Patrice Gausserand, en louant son audace, son culot et sa réussite. Malheureusement, il n’est pas à la portée du premier venu de manier avec dextérité la brosse à reluire. En plus, beaucoup se sont déjà prêtés avec entrain à l’exercice, ces dernières semaines. C’est pourquoi les quelques lignes qui vont suivre iront droit à l’essentiel : Gausserand a gagné.

Oui, il a gagné, malgré l’opacité de son projet et de son plan de financement hasardeux. Il a gagné, malgré un simulacre de débat en conseil municipal et malgré la totale absence de concertation avec les riverains concernés. Il a gagné, malgré la virulence de l’opposition à l’Hôtel de Ville et malgré la désaffection temporaire d’une partie de sa majorité. Il a gagné, malgré un recours judiciaire menaçant la tenue du festival et malgré un procès qui lui est fait pour prise illégale d’intérêt. Il a gagné, malgré quelques articles peu flatteurs dans la presse locale sur la confusion entretenue par certains élus locaux – lui y compris – entre activités publiques et privées. Il a gagné, malgré la disproportion d’un projet taillé pour des métropoles comme Londres, Pékin ou Vienne. Il a gagné, enfin, malgré la confiscation du parc Foucaud pour près de cinq mois. Malgré tout cela, il a gagné.

Oui, il a gagné et pas qu’un peu. Les chiffres de son succès donnent le vertige. C’est que la grande kermesse de Gausserand a déjoué tous les pronostics : 250 000 visiteurs et 220 000 billets vendus ayant généré un pactole de plus d’un million d’euros pour la ville2, excusez du peu  ! C’est bien au-delà de tout ce dont pouvait rêver Monsieur le Maire. Rappelons que ce dernier tablait plutôt sur un bénéfice avoisinant les 165 000 euros. Notons également que, selon ses dires, pas le moindre billet n’avait été vendu à quelques jours même du festival. C’est dire. On décèle sûrement, ici, une petite pointe d’exagération. Ce dont on est sûr, en revanche, c’est que pas le moindre centime n’a été versé aux 160 personnes ayant assuré le bon déroulement des festivités, à l’exception de la dizaine d’agents de sécurité. Le bénévolat, c’est moins cher  ! Tout de même, les bénévoles ont pu repartir avec une assiette en porcelaine pour se consoler Cette drastique réduction des coûts explique pourquoi les profits générés ont été aussi importants. Gausserand réalise ainsi une belle opération financière en parvenant à multiplier sa mise de départ de 80 000 euros par 15. C’est ce qui s’appelle un retour sur investissement réussi.

Face à un tel succès, on comprend aisément que Monsieur le maire se soit senti pousser des ailes dans son bilan, en allant jusqu’à comparer la fréquentation des Lanternes à celle de Jazz in Marciac et même à celle des Francopholies de La Rochelle. C’est qui les plus forts, hein  ? Gausserand entend nous convaincre que, dorénavant, Gaillac joue dans la cour des grands  ! Pour preuve, encore, les Lanternes ont eu droit à un reportage au sacro-saint journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernault  ! Il y a plus fort : les Féeries de Chine ont attiré des gens du monde entier. Oui, oui ma petite dame : une quarantaine de visiteurs en provenance d’Espagne, une vingtaine de personnes de Belgique et de Suisse ; y’en a même qui sont venus du Canada et de Nouvelle-Calédonie  ! Impressionnant. Sans compter que les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration ont vu leur activité bondir pendant deux mois. Le réseau Gîtes de France, par exemple, partenaire du festival, a vu son volume d’affaire exploser entre décembre et janvier. C’est Chantal Tichit, adjointe au maire en charge du développement du vignoble, du tourisme, du jumelage, de la qualité des campagnes, mais aussi directrice des Gîtes de France dans le Tarn, qui doit être contente  ! C’est donc une ruée de curieux qui a fondu sur la ville cet hiver. On peut remercier Gausserand d’avoir su redonner un peu de vie à ce trou à rats qu’était Gaillac il y a encore peu.

De leur côté, les grincheux peuvent, eux, aller se rasseoir et ruminer dans leur coin  ! Gausserand n’a même pas besoin de leur prêter attention, la foule s’occupe de leur cas. Par exemple, lors de la présentation du bilan des Lanternes du 15 février ou lors des réunions de quartier du début du mois de mars, quelques malheureux ont eu la naïveté de souligner les désagréments causés par ces deux mois de fête foraine. Aussitôt, le public, composé essentiellement de retraités – ferment électoral de Monsieur le Maire – n’a pas hésité à les huer. C’est qu’on a l’air d’avoir aimé ça, nous, braves Gaillacois, surtout les habitants du quartier de la Portanelle – quartier qui borde la partie Nord du parc Foucaud. Ces derniers ont, en effet, subi de nombreux désagréments causés par la foule imposante agglutinée dans l’étroite rue du Château du Roi : bruit, regards hostiles de la part de visiteurs pensant se faire voler leur place dans la file d’attente, difficultés de déplacement dès la fin de l’après-midi. Cette dépossession en règle a conduit un habitant à parler de « Portanelle en cage ». Les laudateurs rétorquent que la féerie a un prix. Oui, celui de devenir des spécimens de foire dans sa propre ville, celui d’accepter de se faire spolier du plus grand espace public arboré de Gaillac, dont les pelouses ont été réduites à l’état de champ de patates. Comme le résume si bien Gausserand, « on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre »3.

N’ayons aucune crainte à nous faire. La mairie de Gaillac a désormais de l’argent à dépenser. Les dégâts seront réparés. Et ce ne sont pas ces gauchistes de Bercy qui y changeront quoi que ce soit. Car le fisc est venu mettre son nez dans le juteux pactole gaillacois en affirmant vouloir taxer les bénéfices des Lanternes à hauteur de 33,33 %. Si la ville de Gaillac risque de cracher au bassinet, c’est que ces messieurs dames des impôts ont considéré les Lanternes comme une manifestation commerciale et non culturelle. Pour Gausserand, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un moyen de maintenir les collectivités dans la « médiocrité ». Notre self-made man l’a un peu mauvaise, lui qui entend redistribuer les gains des Lanternes dans des projets aussi ambitieux que la réfection des routes – ce qui permettra aux automobilistes de rouler plus facilement à 80 km/h dans des zones 30. Allez, pas de mauvais esprit, car Monsieur le Maire a également le souci de remédier au déficit démocratique dans sa commune en lançant très prochainement des initiatives citoyennes, dont on ne sait encore rien à l’heure où ces lignes sont écrites…Finalement, ce Festival des Lanternes illustre dans toute sa banalité, une manière de faire de la politique et de gérer une ville, plus proche du modèle féodal que de celui de la Commune de Paris. Malgré tout, la facilité avec laquelle Gausserand a imposé son projet, au détriment de toute concertation, au seul motif que cela peut rapporter gros ne semble avoir choqué personne ou presque. Bien au contraire, nombreux sont ceux qui ont aimé les Lanternes, 250 000 personnes environ. Ils ont tellement aimé ça, qu’on va tous en reprendre une petite dose pour l’hiver prochain. Car loin de s’arrêter là, Gausserand entend réitérer son lucratif petit commerce. Il voit même les choses en « plus grand » et nous promet une nouvelle édition « pleine de nouveautés » avec « plus de magie encore ».

Florian Jourdain

1. Pour un compte-rendu détaillé de la première édition du festival des Lanternes, voir « Des vessies pour des lanternes », Saxifrage #10.

2. <http://www.ville-gaillac.fr/images/M_fichiers/2018/Bilan_FriesdeChine_Web.pdf>.

3. Conseil de quartier de la Gare, 7 mars 2018.

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