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Une école de moins en plus

Coquelicot

Photo de Coquelicot
Photo de Coquelicot

L’école Camille Claudel est une petite école de proximité, située à Albi dans le quartier du Castelviel. Elle compte 125 élèves répartis sur cinq classes. La plupart des parents amènent et viennent chercher à pied leurs enfants, ces derniers sont accueillis dans le parc arboré qui se déploie à l’entrée. C’est la plus vieille d’école d’Albi qui fut d’abord, à sa création en 1889, école d’application de l’École normale sise à côté. Actuellement, les bâtiments appartiennent au Département qui les met à la disposition de la mairie d’Albi, laquelle n’a à s’acquitter que des charges, autrement dit cette école à dimension humaine revient peu cher…

Ainsi décrite, l’école Camille Claudel pourrait avoir les allures de l’école idéale. Elle l’est sans doute pour les parents soucieux de la qualité des enseignements prodigués à leurs enfants et des conditions dans lesquelles ils sont accueillis ; avis que ne semble pas partager la mairie d’Albi dont les desseins demeurent plus impénétrables. De fait, au printemps 2017 le bruit a commencé à courir que la mairie souhaitait fermer cette école de quartier, la rumeur a progressivement pris une dimension plus concrète et le 9 avril 2018, le conseil municipal, lors de délibérations houleuses, a voté cette fermeture qui devrait être effective à la rentrée 2018.

Il faut qu’une école soit ouverte ou fermée…

Quand les parents apprennent, de manière informelle, que l’école va fermer, la première question qu’ils posent c’est : « pourquoi ? ». Plusieurs rencontres vont être provoquées avec la mairie, aucune ne va leur permettre d’obtenir une réponse satisfaisante. Lors d’une première rencontre, la mairie prétend que c’est le conseil départemental qui réclame les locaux. Sauf qu’une représentante du Département est présente, elle dément preuve à l’appui : elle montre aux parents un courrier dans lequel la mairie d’Albi informe le conseil départemental de sa volonté de restituer les locaux qui luis sont prêtés. Le conseil départemental prend acte… Mais ça ne fait rien, la mairie invente un nouveau prétexte : elle dispose de mètres carrés disponibles ailleurs (ah, bon, où ça ?), Camille Claudel est une vieille école et on ne veut plus de vieux bâtiments. Comme le souligne une maman d’élève, c’est assez cocasse quand on connaît les prétentions d’Albi en matière de patrimoine… À quand la destruction de la cathédrale ? C’est aussi un « vieux bâtiment »… La mairie va ainsi servir aux parents une série de bobards, tous plus gros les uns que les autres. Une fois il y a de l’amiante dans les murs, une fois il y a trop d’élèves1, une autre pas assez, … Bref, tout et n’importe quoi.

Quelque peu excédés, mais patients, les parents, très attachés à leur école, ont multiplié les perches tendues à la mairie pour ouvrir le dialogue, ils ont même requis les services des médiateurs de l’Éducation nationale, proposé de renégocier eux-mêmes avec le Département la convention pour la mise à disposition des locaux et disent même, encore aujourd’hui, garder la porte ouverte à des discussions. Mais du côté de la mairie il n’y a rien à faire : on veut bien dialoguer sur l’après-fermeture, mais sur la fermeture elle-même pas question. Avant même qu’elle ne soit votée, tout est mis en place pour la rendre effective. Devant cette attitude pour le moins obtuse, les parents n’ont plus guère le choix : ils portent désormais l’affaire devant le tribunal administratif. « Si on nous avait dit il y a un an, confie un papa, qu’on engagerait de telles démarches, on aurait dit que ce n’est pas possible. »

Déni de démocratie

S’ils prennent la décision d’aller en justice, c’est parce qu’ils ont tout tenté pour se faire entendre de la mairie : le jour où doit être votée la fermeture de l’école, les parents et leur soutien viennent assister au conseil municipal. Privés du droit de prendre la parole et refusant d’être simples spectateurs d’une décision qui les concerne mais qui leur échappe, ils créent le chahut, espérant par ce biais, le seul qu’on leur laisse, qu’on va leur donner la parole ou que la mairie va suspendre le conseil municipal. Peine perdue : la mairie fait la sourde oreille au point de n’entendre ni les cris ni les coups de sifflets ni l’alarme incendie déclenchée par un inoffensif fumigène. C’est dans ce ramdam que les élus de la majorité vont voter une délibération inaudible, levant docilement la main au signal de Madame le maire… Cette dernière criera au « déni de démocratie » et fustigera l’attitude irresponsable de ces parents soucieux de l’avenir et du bien-être de leurs enfants.

Il est vrai, par ailleurs, que Madame le maire est bien placée pour donner des leçons de démocratie, dans ce dossier comme dans d’autres. Jugez plutôt : en toute illégalité, la mairie avait bloqué les inscriptions à Camille Claudel pour la rentrée 2018, histoire de justifier, après coup, la fermeture de l’école par une baisse des effectifs. Il faudra un rappel à l’ordre du préfet, sollicité par les parents d’élèves et les syndicats d’enseignants, pour que la mairie ouvre à nouveau les inscriptions. Mais elle continuera à dissuader tout parent qui émet le souhait d’inscrire son enfant à Camille Claudel. Les pratiques démocratiques de la mairie d’Albi vont plus loin encore. Un papa raconte ainsi les pressions professionnelles exercées à son encontre pour l’intimider et le museler : coup de téléphone de la mairie à son employeur pour l’avertir de l’engagement citoyen de l’un de ses salariés... Ces procédés à des fins d’intimidation se sont multipliés, notamment pour les parents exerçant dans la fonction publique ou dans des professions économiques ancrées dans la vie locale. Et puis encore, lorsque les parents, qui n’ont pu se faire entendre en conseil municipal, vont mener l’occupation pacifique de l’école, ils recevront l’aimable visite de la maréchaussée qui les menacera d’une garde à vue...

La mairie m’a radicalisée

Si ces manœuvres conduisent certains parents à se mettre en retrait, elles ne parviennent pas cependant à faire taire l’opposition. Ces papas et ces mamans, pour la plupart sans engagement militant jusque-là, vont construire leur résistance face à la surdité de la mairie. Rapidement, ils créent un collectif, le CODEC (Comité de Défense de l’École Camille Claudel), lancent une pétition qui recueille plus de 3 000 signatures, organisent des rassemblements, assurent des permanences tous les samedis matins, assistent à plusieurs reprises à des conseils municipaux, hauts lieux de démocratie en particulier dans la formule qu’a développée Madame le mairie d’Albi : « j’ai découvert, nous raconte un papa, un mode de fonctionnement municipal qui m’a atterré, j’invite tous les citoyens albigeois à aller au moins une fois en conseil municipal pour voir comment ça se passe ; l’agressivité dont il est fait état, les moqueries, notamment envers les élus de l’opposition, ne sont vraiment pas constructives. Madame le maire refuse tout dialogue, on a l’impression d’avoir affaire à une autiste, et je pèse mes mots. » Bref, plus la mairie durcit sa position et se ferme à toute discussion, plus les parents s’organisent et se montrent déterminés. Ils reçoivent le soutien de parents d’élèves d’autres écoles : les écoles de Saint-Exupéry, Nougaro2, Lapérouse/Carpantier, Lucie et Raymond Aubrac et La Curveillère. Les parents de cette dernière école sont tout particulièrement concernés : c’est là que vont échoir la plupart des enfants mis à la porte de Camille Claudel. Or, La Curveillère est déjà une très grosse structure : 14 classes, 360 élèves. Les parents ne voient pas d’un très bon œil l’augmentation des effectifs, source de fatigue et de tension pour les élèves comme pour les enseignants : ils refusent ce qu’ils appellent « une école usine », opérant un rapprochement provocateur mais pourtant pertinent avec les « fermes usines ». Pas de poulets en batterie, pas d’élèves en batterie, non plus. Côté mairie et direction de l’école de La Curveillère, on les rassure : l’école sera mise en capacité d’accueillir les élèves. Effectivement, dès la rentrée 2018, on prévoit de nouveaux équipements sous forme de modulaires, 400 000 euros de travaux au total quand Camille Claudel ne coûte rien ou presque. Et puis l’argument n’est pas de taille à rassurer les parents : il ne s’agit pas tant d’une question de place que de préoccupations sur les conditions d’accueil des enfants. Oui, on peut entasser des poulets, euh pardon des enfants, dans une école, mais est-ce bien cela que l’on veut3 ?

Du loto de l’école à la réflexion politique

Par déficit d’argument, ce que la mairie reproche aux parents de Camille Claudel c’est d’être des « bobos » qui jouissent actuellement d’une école protégée et qui refusent la mixité sociale à laquelle ils seront exposés en rejoignant une grande école. Sauf que la mixité sociale ce n’est pas une grosse marmite dans laquelle on peut mettre le plus grand nombre d’aliments en espérant qu’ils se mélangent ; pour être effective, la mixité sociale nécessite qu’on se connaisse pour mieux se comprendre, ce qui n’est possible que dans des petits ensembles. Ce que défendent les parents de Camille Claudel, et plus largement les parents d’élèves engagés à leurs côtés, c’est une école de proximité à taille humaine, propice aux apprentissages et à l’entraide, où tout le monde se connaît, enseignants, parents, enfants, personnel de mairie. Car il ne s’agit pas seulement de lutter contre la fermeture de l’école Camille Claudel : derrière ce cas particulier s’engage une réflexion plus générale sur l’école, avec un grand « E ». C’est peut-être l’un des mérites, le seul sans doute, qu’aura eu, malgré elle, la position fermée de la Mairie : politiser les associations de parents d’élèves. Une maman de La Curveillère, parente élue, nous décrit ainsi l’inflexion qu’ont connues leurs activités : aux réunions habituelles sur l’animation de l’école, l’organisation de fêtes et de lotos, se sont désormais ajoutées des réunions pour réfléchir à l’école que l’on veut demain pour nos enfants. S’opposer à la fermeture de Camille Claudel c’est une réponse apportée à cette question politique.

Et les raisons pour lesquelles la mairie d’Albi ferme l’école Camille Claudel ? On les ignore encore. La dernière parade de Mme Bascoul-Vialard, l’élue chargée des affaires scolaires, aux parents d’élèves qui posent inlassablement la question : « Vous aurez la réponse devant les tribunaux, la justice tranchera »...

Coquelicot

1. Une maman raconte en effet que lors d’un conseil municipal, celui où a été votée la modification de la carte scolaire, « il a été indiqué que le secteur Ouest augmentait en démographie et que c’est la raison pour laquelle on voulait fermer une école ». Et d’ajouter : « Moi, j’ai du mal à saisir la logique du raisonnement. » De fait, la mairie d’Albi, ambitieuse, aurait le projet de construire une, voire deux écoles, vraisemblablement de grands ensembles qui n’auront pas les qualités que réunit aujourd’hui Camille Claudel.

2. De nombreux enfants de Claude Nougaro ont rejoint cette école après la fermeture de l’école Pasteur, en 2013, autre école de centre-ville que la mairie a souhaité faire disparaître. Un projet d’occupation des locaux par des commerces est désormais lancé.

3. Voir, sur le sujet, Jean Pauly, « Pour l’école aussi, penser local est la bonne méthode », Reporterre, 9/02/2016.

Albi, le 29 juin 2018,

Ayant eu la chance d’assister à l’un des conseils municipaux de la ville d’Albi, je tiens à remercier Madame le maire de s’attribuer tout droit de penser pour nous.

Je remercie également madame le Maire de décider ce que nous sommes, citoyens, parents d’élèves, habitants, militants, agitateurs et, entre tout, ce qui est surtout bon pour nous.

À ce jour, les droits élémentaires de toute contestation sont bafoués et, hélas, la démocratie que l’on voudrait participative souffre au quotidien de la pauvreté des débats et de la vacuité des argumentaires même si l’on apostrophe, l’on s’indigne, l’on outrage. La théâtralisation et les jeux d’acteurs qui convoquent à tout va, jusqu’au « J’accuse » de Zola, cadrent mal avec les inepties et l’inconséquence des débats où l’on ne s’entend plus, où l’on ne s’écoute plus mais où l’on s’invective sans arguments.

Hélas pour nous, Molière, Racine, Lamartine sont bien étrangers aux poésies que l’on s’envoie en pleine face dans la salle des Illustres. Par contre, tout à chacun peut bien se demander « ce que l’on fait dans cette galère » à la vue de tout un troupeau de Géronte qui annone et nous asphyxie chaque jour davantage.

Pensées d’un parent d’élève, citoyen et membre du Comité de défense de l’école Camille Claudel d’Albi, suite au conseil municipal du 25 juin 2018

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