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Caméra cachée

Valéry

L’été dernier, Martin1, jeune gonze débrouillard, embarque un ami pour une excursion spéciale. En effet, il se trouve à Saint-Juéry quelques fermes immenses qui, selon une tendance centrifuge, tractent l’obsolescence vers leur périphérie : carcasses de bagnoles, charrues pourries, métaux rouillés. Des monceaux de trésors pour nos deux amis, des bouts d’épaves hors d’air, hors d’eau, tapies sous des ronces. Dans ce fatras, ils posent leur dévolu sur un métal insignifiant, qu’ils emportent pour trafiquer. Après-midi bricole… super, fin de l’histoire.

Sauf qu’avril dernier, notre gonze se fait convoquer au commissariat, brigade des mineurs. On l’accuse de vol. « De vol ? » Sa maman, affolée, n’y comprend rien. C’est que les pièces, pour inusitées qu’elles soient, n’en demeurent pas moins la propriété d’un propriétaire. Et que cette règle – cela Martin l’ignorait – vaut pour le château comme pour sa ruine.

Ainsi, presqu’un an après les faits, un paysan dépose plainte. Une aiguille en moins dans une botte de foin… Le lecteur perspicace se demandera comment, passé ce délai, le laboureur s’en est aperçu. Mais surtout, comment a-t-il pu remonter jusqu’à notre ami ? Que le bougre tienne l’inventaire de sa décharge, ça le regarde, mais que l’institut de recherche criminelle ait fait sa descente pour un bout d’os, et soit parvenu à identifier un gamin inconnu, non… Bien sûr, il y a autre chose.

Et je vous le donne en mille : notre cul-terreux avait pris soin de disposer – les bras m’en tombent – une caméra de surveillance orientée vers sa rouille, pour le cas où elle susciterait quelque convoitise. Sur l’enregistrement, l’homme n’a eu aucun mal à identifier Martin, étant de son voisinage. Filmer sa merde, c’est déjà du lourd, mais aller chez les flics porter le pet contre un ado du coin, c’est vraiment curieux. À mon avis, c’est qu’il est plus facile d’assumer pareille idiotie devant un flic que devant un môme. Bref, la main dans le sac, des mois plus tard.

Au commissariat, la mère, évidemment affolée, veut savoir ce que Martin risque : « cinq ans d’emprisonnement et cent-mille euros d’amende madame. »

— Mais enfin monsieur l’agent, ce sont des conneries de gosses, vous avez jamais rien volé vous quand vous étiez petit ? Si vous aviez trouvé un porte-monnaie, vous ne l’auriez pas gardé ou fouillé ?

— Ah non madame, moi, je n’ai jamais rien volé, a-t-il dit, avant d’envoyer Martin se faire prélever ses empreintes digitales.

Valéry

1. Le prénom a été changé

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