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Art, pèze et très mollo

Nicolas Rigaud

Dessin de Eric Habourdin
Dessin de Eric Habourdin

Le festival Pause Guitare est devenu, en quelques années, un incontournable de la scène « culturelle » du Tarn. Le public semble comblé tout autant que les entreprises et les collectivités locales, qui soutiennent à grand frais l’évènement. La culture de masse semble avoir posé ses valises sur le territoire, et pour longtemps.

Pratgraussals. La base de loisirs albigeoise accueille tous les ans le festival de musique Pause Guitare. La grande scène, où se produisent les grands noms du Rock, tourne le dos aux résidents paisibles du cimetière de la Madeleine. Ce vendredi 6 juillet, nous rentrons par la petite porte. La foule écoute Catherine Ringer… ou plutôt regarde ! tant les écrans situés derrière les musiciens et de part et d’autre de la scène focalisent l’attention. Ils permettent au moins aux spectateurs, assis à l’arrière sur des gradins, de ne perdre aucune miette du programme. Les concerts ne sont plus, place aux spectacles audiovisuels.

Des bénévoles, bidon sur le dos, circulent parmi l’assistance en proposant de la bière pression, payable en monnaie dématérialisée via une carte magnétique préremplie (voir encadré). Au-dessus de cette foule, sur la gauche en regardant la grande scène, des loges dominent l’esplanade. C’est le carré VIP, réservé aux partenaires et autres mécènes qui financent Pause Guitare. Un endroit relativement moche, dans l’esprit « rosé piscine », où salariés et clients de boîtes privées, petits fours dans une main et pinard servi dans des coupes en plastique dans l’autre, affichent leurs privilèges d’un soir.

L’ex-chanteuse des Rita Mitsouko quitte la scène. Les vétérans de Deep Purple s’apprêtent à prendre la relève… pour 75 minutes. C’est ce qu’il y a d’écrit sur le planning des techniciens à l’arrière de la grande scène. Peu de place à l’improvisation, les shows sont vendus clés en main.

Les stands de restauration et les bars sont situés ni en face, ni sur le côté mais en contrebas de la scène. L’endroit est agréable mais il a un défaut de taille : il est impossible de commander ou de boire un verre au comptoir tout en profitant du concert. À moins de visionner, comme ces jeunes spectateurs assis dans l’herbe, avec leur jambon beurre et leur gobelet consigné, la retransmission des riffs endiablés de Steve Morse, sur l’écran géant installé spécialement pour ne rien perdre de cette grande-soirée-rock-n-roll.

L’atmosphère est calme, bonne enfant, disciplinée. Cependant, les écrans géants, l’important dispositif de sécurité, la foule, l’organisation et la dimension des lieux nous conduit vers une certaine forme de passivité, nous transformant malgré nous en simples consommateurs.

Un aller simple pour Albi

Depuis sa relocalisation près des rives du Tarn en 2013, Pause Guitare s’est radicalement transformé. Né à Monestiés en 1997 sous l’impulsion de l’association Arpèges & Trémolos, il accueille pour sa première édition 150 personnes. Peu à peu le festival se développe. Sous les platanes de la place du foirail, l’ambiance est chaleureuse. Même sans le sou, on peut s’offrir le concert de Thiéfaine ou du débutant Sanseverino, assis à une table autour d’un demi, d’une saucisse-frites et de quelques amis rencontrés par hasard. Pause Guitare montrait alors qu’un festival de musique en zone rurale, invitant des artistes débutants et confirmés, loin des lumières et des foules urbaines, était possible.

Fin 2005, les collectivités locales auraient refusé d’éponger 30 000 € de déficit dû, en partie, au non-renouvellement d’aides européennes, en 2004. Suite à l’invitation de la ville d’Albi, l’association Arpèges & Trémolos décide de transférer l’évènement aux pieds de la cathédrale Sainte-Cécile. Le nombre de spectateurs progresse, l’ambiance n’est plus tout à fait la même. Le festival devient urbain et commence sa standardisation.

En 2012, c’est le grand bond en avant. Le festival déménage à Pratgraussals, le off demeurant au centre-ville. Pause Guitare double son nombre d’entrées, les artistes à la renommée internationale défilent. Et le tarif des places augmente avec les rêves de grandeur. En 2001, une place plein tarif coûtait autour de 22 € contre une cinquantaine d’euros aujourd’hui. Les familles déboursent également davantage puisqu’en 2001, les concerts étaient gratuits pour les moins de 10 ans. Désormais, il faut avoir moins de trois ans pour accompagner ses parents gratuitement. Et le tarif préférentiel pour les 3-12 ans est fixé aux alentours de 30 €, selon la soirée. Difficile alors de parler, comme le fait Arpèges & Trémolos, de mixité sociale, quand une famille de deux adultes et deux enfants peut payer jusqu’à 150 € pour assister aux concerts.

Malgré tout, le pari est réussi et le succès indéniable. En 2018, Pause Guitare avec ses 1 100 bénévoles, a attiré plus de 65 000 spectateurs, devenant ainsi l’un des festivals musicaux les plus importants du sud de la France. Ce développement, il le doit à son public : la vente des billets finance le festival à plus de 50 %. Mais il le doit aussi et surtout à la ville d’Albi ! La subvention de la commune est passée de 50 000 € en 2006 à plus de 288 000 € en 2018 ! sans compter la mise à disposition des équipements publics de la ville. Elle a fait de Pause Guitare un évènement phare de sa politique culturelle et de son rayonnement à l’échelle régionale. Et l’histoire d’amour est réciproque. Arpèges & Trémolos confie avec une certaine prévenance sur son site Internet : « Albi, inscrite à l’Unesco en 2010, favorise une orientation très importante du festival avec l’envie de lui donner une couleur plus internationale. Notre adhésion au patrimoine mondial de l’humanité est totale et, avec un réel engouement, la contribution de Pause Guitare sera d’y introduire la musique anglo-saxonne. La venue de Patty Smith est l’évènement phare de cette édition. Conquise par la beauté de la ville, elle en parcourra les rues et ses sites patrimoniaux avec l’allant de sa simplicité. »

Actuellement, le Conseil départemental accorde 45 000 € de subvention à l’association, la région Occitanie près de 80 000 €. Cette dernière a même accolé sa marque commerciale « Sud de France » au nom du festival, moyennant une rallonge de 45 000 €. Pour Bernard Gilabert, conseiller régional, « lorsqu’il y a un travail d’aussi grande qualité fait par Arpèges & Trémolos autour du festival Pause Guitare ; depuis Monestiés à aujourd’hui, il [est] normal que la Région soit là pour participer à ce succès avec une marque emblématique du Sud. Nous avons fait un travail important sur les filières, sur l’aspect culture et la mise en avant des produits alimentaires de nos terroirs ; il s’agit de faire en sorte que tout cela s’intègre dans une politique régionale lisible, nous mettrons en place des outils pour la promotion des produits régionaux » (La Dépêche du Midi, 21 juin 2018). Ou comment vendre le cassoulet de Castelnaudary grâce au Suprême NTM.

La petite entreprise

Plus de 180 entreprises, allant du plombier albigeois aux assurances Axa, en passant par la clinique Claude Bernard et Kiloutou, participent à remplir le tiroir-caisse de l’association Arpèges & Trémolos. Elles financent Pause Guitare pour 30 % de son budget (soit 982 000 € de dons en 2017) sous formes de partenariats et de mécénats. En contrepartie elles bénéficient d’espaces de promotion sur les programmes, le site Internet et pendant le festival via des banderoles et des clips diffusés sur les écrans. Elles peuvent également avoir des places pour assister aux concerts. Cette année, plus de 5 000 personnes invitées ont ainsi pu assister, dans les loges VIP, aux quatre soirées programmées. Les retombées économiques de Pause Guitare sont également non négligeables dans l’Albigeois. Les vignerons, brasseurs, producteurs, techniciens, hôteliers, restaurateurs, profitent directement de l’évènement. Dans sa plaquette destinée aux entreprises, Arpèges & Trémolos insiste sur le fait qu’« un euro investi égale entre quatre et huit euros de retombées économiques » et de citer Alain Ayala, directeur de Partitio, une boîte de conseil et d’expertise informatique toulousaine : « Pause Guitare est un beau festival permettant de rapprocher astucieusement la culture et l’économie en intégrant les entreprises régionales grâce au système de mécénat. »

Arpèges & Trémolos a réussi à créer une véritable petite entreprise autour de son nouveau projet. Le magazine de la municipalité ne s’y trompe pas en désignant Pause Guitare comme un « véritable éco-système » et d’affirmer que « culture et business ne sont pas antinomiques. Pause Guitare, PME dont l’image bénéficie à notre territoire, revendique, à juste titre, son statut d’acteur économique » (Albimag, juillet 2015).

Un festival à l’image rentable, qui logiquement attire les convoitises. Vivendi, qui possède déjà la filière de production de disques, a même proposé de racheter Pause Guitare (voir encadré). Offre qu’Arpèges & Trémolos a décliné.

L’association a terminé sa mutation. Elle se vante d’avoir créé un festival humain, citoyen, en prenant en compte la mixité sociale. Or Pause Guitare nous emmène, par son organisation et ses objectifs, dans une culture de masse où les échanges, la convivialité et le lien social se désagrègent.

Et la culture dans tout ça ?

Le succès de Pause Guitare est certain. Arpèges & Trémolos, à travers ses différents évènements (Pause Guitare, les Ptits bouchons, un Bol d’airS), obtient pas moins de 500 000 € de subventions de la part de ses partenaires institutionnels, pour un budget total de plus de 4 millions d’euros. À titre de comparaison, le budget de la scène nationale d’Albi est de 3,25 millions. Cette situation interroge quant au type de culture que la ville d’Albi, le Département et plus largement les collectivités publiques, souhaitent développer.

À Albi, le budget total alloué à certaines associations (Pollux, Act’al) ou aux structures labellisées (GMEA, MJC, Le Lait), qui participent à créer d’autres projets culturels alternatifs, atteint péniblement les 145 000 €. En comparaison, les subventions pour Pause Guitare et le carnaval d’Albi dépassent à elles deux les 375 000 € ! En se focalisant principalement sur une offre patrimoniale, institutionnelle et commerciale, la majorité municipale a délaissé la création et l’expérimentation artistique. Le logo bidon « Albi aime la culture », projeté sur les murs de Sainte-Cécile lors de la Nuit pastel en juin dernier, est là pour nous rappeler que la majorité municipale conçoit avant tout sa politique culturelle comme un plan de communication, bien loin d’une véritable culture populaire pourtant historiquement bien implantée dans le pays albigeois.

Avec une subvention exceptionnelle de 45 000 € suite au déficit de l’édition 2013, le Conseil départemental demeure un partenaire fidèle d’Arpèges & Trémolos. Il faut dire que ni Thierry Carcenac, ni Christophe Ramond n’ont vécu d’entartage en règle dans les travées de Pratgraussals. Entartage qui a coûté à l’Été de Vaour une diminution de 40 000 € de la subvention du Département, la faisant passer de 70 000 à 30 000 € (voir Saxifrage n°8). Le Conseil départemental s’est par ailleurs offert une pleine page d’autopromotion dans le dernier programme de Pause Guitare en affirmant son soutien aux « nombreux festivals organisés sur tous les territoires urbains et ruraux du Tarn ». Un soutien en trompe-l’œil tant les subventions sont inégales. Les évènements qui font le pari d’une culture populaire et gratuite, promouvant à la fois spectacles vivants, musiques et mixité sociale, ont peu de soutien du Département : les festounades joyeuses du Pied dans la bassine ne reçoivent que 1 000 €, et le tout nouveau festival de rue carmausin Nect’Arts seulement 750 € ! Et malgré des demandes répétées, pas un kopeck pour le guilleret festival de musique Complot sur le campus, de la fac d’Albi.

Comme la mairie de Gaillac avec le festival des Lanternes, l’association albigeoise Arpèges & Trémolos inscrit progressivement le territoire dans l’industrie culturelle. Mais la responsabilité de cette standardisation qui tend à nous imposer une certaine façon d’être ensemble, nous la devons surtout aux collectivités publiques. Elles apparaissent largement plus intéressées par la valorisation de leur image et les retombées économiques de tels évènements, que par le soutien réel et sans arrière-pensées à d’autres formes d’expérimentations sociales, artistiques et culturelles.

Nicolas Rigaud

Par ici la monnaie !

Le système cashless permet de payer une commande sans utiliser ni argent liquide, ni carte de crédit. Le cashless est très en vogue dans les festivals du type Vieilles Charrues ou Hellfest. La mise en place est simple. Il vous suffit, une fois arrivé sur le lieu, de vous présenter devant l’enseigne cashless et de créditer une carte ou un bracelet magnétique à l’aide d’une carte bleue, d’un chèque ou de quelques liquidités. Vous pouvez dès lors vous restaurer et boire jusqu’à plus soif sur les points de vente du festival, tous équipés d’un terminal informatique qui débitera votre compte. Il est aussi possible de commander sa carte cashless sur Internet avant le festival et de profiter ainsi d’avantages ! Arpèges & Trémolos offrait des crédits si vous chargiez votre carte avant le début de Pause Guitare. Plus besoin désormais de marchander avec les bénévoles du bar après avoir raclé ses fonds de poches en fin de soirée, la ristourne sur le demi est prévue à l’avance.

Pour de multiples raisons, les festivals sont de plus en plus nombreux à choisir cette technologie. La première est d’ordre pratique puisque la méthode supprime la circulation de l’argent liquide sur le site et, de fait, résout le problème lié à sa collecte. Le temps où la caisse du bar débordait de pièces et de billets est aujourd’hui révolu. Ce système permettrait aussi de fluidifier l’affluence et de rentabiliser les points de vente. La société Weezevent en fait même un argument choc : « le cashless, c’est moins de soucis logistiques, et beaucoup moins de problèmes de files d’attente car l’ensemble d’une transaction prend en moyenne 5 secondes ! Grâce à cela, les participants attendent beaucoup moins et la productivité de chaque point de vente augmente considérablement, avec le cashless, un serveur pour 200 festivaliers suffit. » La diminution des files d’attente ferait même davantage consommer les festivaliers. Pour la société Payintech, qui gère le cashless sur le festival Pause Guitare, le chiffre d’affaire augmenterait de « 15 à 20 % grâce à des files d’attente plus fluides et un achat d’impulsion développé ».

Cerise sur le gâteau : le remboursement. Il peut arriver que votre carte magnétique soit toujours créditée de quelques euros que vous n’avez pas pu dépenser avant la fin du festival par peur du gendarme ou à cause d’une indigestion à la crêpe Suzette. La solution cashless vous propose alors de vous rendre sur Internet, via votre compte cashless préalablement créé, et d’obtenir un remboursement sous forme d’un virement sur votre compte bancaire. La simplicité cashless en somme. Mais en apparence seulement car les remboursements sont limités dans le temps. Pour le festival Pause Guitare, ils étaient accessibles jusqu’au… 28 septembre. Passé ce délai, votre crédit cashless est transformé bien malgré vous en don à l’association Arpèges & Trémolos, gonflant un peu plus son portefeuille. La société Weezevent précise ainsi que le solde restant « représente en moyenne 2 € par participant ».

Le cashless permet de rendre, semble-t-il, les transactions plus rapides, et de décharger les organisateurs de la gestion de leurs recettes en cash. Il permet surtout de transformer les mélomanes attentifs en simples vaches à lait.

Nicolas Rigaud

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