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La bonne renommée

Jean-Pierre Cuq & Valéry

Le circuit d’Albi n’en finit plus de tourner ! Depuis le dossier que, dans notre numéro 13, nous avions consacré au circuit automobile d’Albi, et qui nous vaut un procès en diffamation (pour l’interview d’un élu anti-circuit), de l’eau a coulé sous les ponts, et sur le front des avocats.

D’abord, le renouvellement de l’homologation du circuit ne s’est pas très bien passé : l’équipement n’est plus habilité à recevoir les motos, deux motards ayant eu la mauvaise idée de trouver bêtement la mort. Il est également interdit de drift (activité consistant à faire déraper les voitures, pour en cramer les pneus et produire ainsi des effets audiovisuels fort divertissants). De plus, le préfet a fini par faire installer des sonomètres pour mesurer d’éventuels dépassements du bruit autorisé par la loi (que l’on appelle aussi « seuils d’émergence »). Les sonomètres installés au mois de mars 2019 ont immédiatement enregistré de nombreux dépassements, de 1 à 17 décibels (par rapport aux 55 décibels autorisés). Les riverains ont donc porté plainte.

La justice étant par nature un peu lente, les avocats ayant fait grève en début d’année contre la réforme des retraites, le confinement étant passé par là… l’affaire a traîné jusqu’au 8 septembre dernier. La salle d’audience du tribunal de police d’Albi est pleine à craquer. Les riverains, les partisans du circuit, les journalistes, les avocats, et Didier Sirgue himself, tout le monde est là. Mais quarante-quatre riverains s’étant portés parties civiles un peu tardivement, l’avocat de M. Sirgue en profite pour obtenir un nouveau report, au 29 octobre. D’ici là, le gérant du circuit encourt une amende de 7 500 euros par jour de dépassement. Ce même 8 septembre, la nouvelle préfète du Tarn interdit le Grand prix camions, épreuve « phare » de l’automne. Le 12 septembre, les partisans du circuit, furieux de cette annulation, manifestent bruyamment au centre-ville, non contents, vraisemblablement, de n’assourdir que la périphérie de la ville…

Le 28 septembre, la saga continue. Saxifrage passe en appel à Toulouse, contre Didier Sirgue. Des riverains, des journalistes, les avocats, les magistrats, Sirgue, Saxifrage, les vigiles, tout le monde est là… quoiqu’en nombre réduit. Le président de la Cour ne nous inspire ni sympathie, ni antipathie. Il est dans son rôle, c’est déjà ça. Les autres rôles sont inversés : contrairement à l’audience du tribunal de police, trois semaines auparavant, cette fois-ci c’est Sirgue qui avait attaqué.

Après une longue attente passée à écouter des affaires sordides, notre tour arrive enfin. Depuis la dernière fois, les plaidoiries n’auront pas beaucoup évolué. Par avocats interposés, nous proclamons être dans notre bon droit (de presse), et Pascal Pragnère (l’élu interviewé), dans son bon devoir (d’élu). Sirgue continuera de dénoncer l’attaque gratuite à la « bonne renommée » de sa personne et de ses affaires… ce qui nous vaudra, de son avocat, l’envolée lyrique – il faut le dire, la plus ridicule de la soirée : « La bonne renommée pour l’homme et pour la femme, mon cher seigneur, est le joyau suprême de l’âme. Celui qui me vole ma bourse me vole une vétille : c’est quelque chose, ce n’est rien ; elle était à moi, elle est à lui, elle a été possédée par mille autres ; mais celui qui me filoute ma bonne renommée me dérobe ce qui ne l’enrichit pas et me fait pauvre vraiment. » Et se retournant, supérieur : « C’est du Shakespeare. » C’est plus précisément une citation de Iago, personnage d’Othello, souvent décrit comme le félon de la pièce, personnage « fourbe, sournois, traître », « méchant par nature ». « En Iago [c’est La Croix qui le dit] se cristallise un absolu du mal, pathologique, férocement subtil, brutal et ingénieux » : grosse référence ! La plaidoirie aura ce ton tout du long, cherchant à pourfendre de « petits diffamateurs de province », « se voulant satiriques sans être drôles », « mal informés ». Sauf sur Othello, bien sûr.

Verdict pour le 12 novembre 2020 : dernier tour de piste pour le notable de province…

Et toujours pas de bruit du côté de la mairie d’Albi.

Jean-Pierre Cuq & Valéry

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