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Des morts à la pelle

anonyme

Photo de Mathu CK
Photo de Mathu CK

En 2012, un rédacteur de Saxifrage écrivait un texte visionnaire, paru alors dans un dossier d’enquêtes signé du pseudonyme collectif Jeff Champo. Publié sous le titre Autopsst. Dissection des bruits qui courent, cet ouvrage se penchait, avant même que les fake news soient inventées, sur une série de légendes urbaines, dont celle du baiser tueur.

Si vous aviez envie d’embrasser une femme,
De biser une amie au détour d’une rue,
Ou de combler à l’œil les bouches qui s’affament
Par un contact buccal intrépide et bourru ;

Si vous aviez prévu de calmer un enfant
Par un de ces bécots que l’amour seul prodigue,
Et si votre objectif était en le bouffant
De donner à son cœur des vagues et des digues ;

Si vous aviez envie de voler au secours
De l’amante asphyxiée de n’avoir pas vos bras,
D’offrir un bouche-à-bouche à son souffle trop court
Et d’emporter un bout de son neck plus ultra ;

Si vous aviez prévu de frapper chez Robert
Pour lui parler un peu, pour l’embrasser au front,
Et retrouver l’ami que le silence obère,
Jusqu’à perte d’haleine ou le temps du litron ;

Bien malheureusement, si vous usiez souvent
De cet organe-là qui parle, qui respire,
Qui mange et qui sent bon, qui parfois fait du vent,
Qui embrasse ses pairs et qui pourlèche pire,

Fermez bien les clapets ou vous allez crever,
Évitez le bisou, le poutou, le bécot,
Oubliez le palot qui vous fit saliver,
Et plutôt que la joue, mastiquez le mégot.

Depuis hier, c’est fini, on donne plus son bec,
On tire les rideaux, Roméo peut grimper,
S’il attrape Juliette et l’embrasse aussi sec,
C’est la mort, pas l’amour, qui les fera tomber.

Depuis hier, terminé, la Terre est dégarnie
De tous les bisouilleurs, de tous les patineurs,
Des bécoteurs mordus de la poutoumanie
Qui chassaient les baisers comme des tapineurs.

Depuis hier, la fontaine a cessé de couler.
Ceux qui étaient venus guetter en son endroit
Un cœur où il fut bon de se voir roucouler,
Ouvrant un large bec, ont fait tomber leur proie.

Depuis hier, plus personne, et c’est le Mont Pelé
Où restent pêle-mêle au monde décimé
Un tondu, deux poilus, trois ploucs, quatre pelés,
Et ma sœur qui voulait qu’on l’eût assassinée.

Depuis hier, plus personne, et c’est le Mont Pelé.
Du reste, je m’emmêle, y a trois jours que tu es
Partie sans prévenir, sans rien, sans appeler.
Mon amour reviens-moi
Je voudrais te tuer.

Anonyme

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