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Femmes, je vous aime…

Aurore Lerat & Charlotte Lambert

 de

Dès 9 h 30, le café coule (voire déborde) et le téléphone sonne, au 8, rue de la Madeleine – nouvelle adresse de l’association Paroles de Femmes à Gaillac. « Soit on tient, soit on ferme », voilà le constat lucide dressé par Élisabeth Fournier, présidente de la structure, qui nous reçoit dans les locaux de cette association qui vient de fêter ses 10 ans.

Une question nous taraude : comment se fait-il que cette structure labellisée en 2008 « Référent Violences Conjugales » pour l’ensemble du département, et recevant désormais plus de 200 femmes par an, doive encore lutter pour exister ?

Et pourtant, on ne se tourne pas les pouces à Paroles de Femmes ! L’association touche plus de 1 500 personnes par an sur le département du Tarn. Sa mission est d’offrir un lieu de parole et d’écoute pour les femmes. Les raisons qui les amènent à pousser la porte de l’association sont nombreuses mais, pour 86 % d’entre elles, c’est encore malheureusement suite à des violences conjugales. Sujet plus tabou qu’il n’y paraît dans notre pays « civilisé ». On préfère le balayer sous les tapis et ne pas s’en salir la pensée.

Les 14 bénévoles et la salariée de l’association ont, elles, choisi de prendre le problème à bras-le-corps, dans toute sa complexité. Elles ont la volonté affichée de ne pas le maquiller, elles savent très bien qu’on ne répare pas un œil au beurre noir à coups de blush.

Alors patiemment, avec sérieux, avec humour, elles vont aider ces femmes à se reconstruire. Reconstruire l’estime de soi, réapprendre la vie sociale, la vie pratico-pratique (comment se trouver un logement, un travail, etc.), trouver l’aide judiciaire nécessaire, etc. Elles déploient ainsi des trésors d’imagination pour que les femmes victimes de violences ne retombent plus dans cet engrenage destructeur.

La prévention fait également partie de leurs missions. Elles interviennent dans les collèges et les lycées à la demande des chefs d’établissements ou des professeurs. Elles forment également des travailleurs sociaux, des gendarmes, des bénévoles, des médecins qui demeurent bien souvent démunis face à cette problématique spécifique.

S’il y a eu quelques victoires dans les combats menés par les femmes ces dernières décennies, si des lois ont été votées pour les protéger, Betty note qu’elles ne sont ni acquises, ni parfois même applicables. La loi considère que, lorsqu’il n’y a pas de preuves, il n’y a pas de délit… Le harcèlement est, par exemple, particulièrement difficile à prouver. La défense des victimes dépend alors de la sensibilité du procureur qui prendra ou non l’affaire en considération. Les lois ne pourront être réellement efficaces que si les mentalités évoluent elles aussi (et de ce côté-là, on n’est pas sorti de l’auberge).

Comme beaucoup d’associations à but social, culturel ou éducatif, Paroles de Femmes doit jongler avec la baisse des subventions et les changements politiques. Pourtant, la présidente de l’association refuse d’acquiescer lorsque nous parlons de « mise à l’écart » concernant le changement de local imposé par la nouvelle municipalité en janvier dernier. « Monsieur Gausserand [maire de Gaillac, NDLR] souhaitait récupérer nos locaux place d’Hautpoul en vue d’installer tous les services de la mairie au rez-de-chaussée, ça s’entend, et puis notre association a une vocation départementale, il a raison, ce n’est pas à la mairie de Gaillac seule de devoir payer tous nos frais. Le département doit prendre ses responsabilités. »

Pourtant, la mairie précédente fournissait un local. Aujourd’hui, même si la nouvelle municipalité paye le loyer, il reste désormais à la charge de l’association les frais de fonctionnement (eau, électricité, téléphone…). Sans oublier les frais du déménagement qui se sont élevés à 3 000 €. À noter également que les subventions de l’État sont versées de plus en plus tard dans l’année. Heureusement que des associations amies peuvent faire des avances de trésorerie !

L’administratif est – on l’aura compris – une lourde charge de travail pour l’équipe. Betty Fournier consacre pour sa part un bon mi-temps à l’association. Elle craint qu’une telle masse de travail puisse rebuter une éventuelle relève. Dans ces conditions, comment espérer la pérennisation de Paroles de Femmes ?

Pour Betty, tout est histoire de « choix politiques ». Mais comment se fait-il qu’en 2015 en France les politiciens rechignent encore à financer la lutte contre les violences faites aux femmes ? Il semblerait que demeure un manque de connaissances autour de cette problématique et que certains tabous persistent.

Il n’y a qu’à entendre Betty nous relater une intervention de l’association dans un lycée du Tarn pour y diffuser un film évoquant la pédophilie. Après leur passage, les langues se délient chez certains jeunes. L’association ne sera plus jamais rappelée. Ou encore cette policière, désignée référente violences conjugales, recevant un mari violent chez qui les bénévoles de Paroles de Femmes ont décelé des symptômes de pervers narcissique, et assurant après l’entretien que « cet homme est très bien ».

Il reste donc un long chemin à parcourir pour que les mécanismes de la violence soient compris et combattus par tous. Toutes les catégories sociales, toutes les classes d’âge sont confrontées à ce problème, soit en moyenne 10 % des femmes. Les jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans sont, elles, 14 % à subir des violences1. La sensibilisation des jeunes reste une lutte importante à mener.

Et si de nombreuses femmes ont pu rompre le silence grâce à Paroles de Femmes, des moyens supplémentaires seraient à espérer pour toucher un plus grand nombre de femmes, par exemple les femmes d’origine maghrébine qui, elles, ne franchissent toujours pas le seuil du 8, rue de la Madeleine !

Aurore Lerat & Charlotte Lambert

1. Source : enquête Enveff, 2000.

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